Quand tuer une organisation ?

« Il est généralement beaucoup plus facile de tuer une organisation que de la transformer en profondeur. Par leur conception même, les organismes ne sont pas faits pour s’adapter au-delà d’une certaine limite. Leur capacité d’adaptation n’est que partielle : passé un certain point, il est bien plus simple de les supprimer et d’en créer un nouveau que de les changer. »

Kevin Kelly. Interview avec Joe Flower publiée dans The Healthcare Forum Journal, vol. 38, no. 1, January/February 1995
Inspiré de l’ouvrage : Out of Control: The New Biology of Machines, Social Systems, & the Economic World


Cette citation de Kevin Kelly souligne la résistance au changement des organisations (entreprises, institutions), comparées à des organismes vivants.

Les organisations, comme les êtres vivants, développent avec le temps une structure interne — culture, hiérarchie, processus — qui assure leur stabilité. Mais cette stabilité devient aussi leur limite. Leurs mécanismes d’adaptation permettent des ajustements marginaux, pas des mutations profondes. Au-delà d’un certain seuil, le coût de transformation (en énergie, temps, conflits, résistance interne) devient supérieur à celui d’une recréation complète. Il est donc souvent plus simple de “tuer” l’organisation (au sens de la dissoudre ou la remplacer) que de la transformer en profondeur.

Cette inertie systémique s’explique par plusieurs facteurs :

  1. Culture organisationnelle — Véritable “ADN social”, elle unit mais rigidifie. Ce qui a permis la réussite passée devient un obstacle à la mutation.
  2. Intérêts acquis — Chaque transformation menace des positions, privilèges et routines ; d’où une résistance active, consciente ou non.
  3. Complexité interconnectée — Dans un système complexe, toucher à un élément en affecte mille autres ; réformer l’ensemble revient à reprogrammer un organisme vivant.

Optons pour une perspective biologique : les espèces ne se transforment pas radicalement, elles sont remplacées. Dans la nature, quand un organisme atteint ses limites d’adaptation, il disparaît et un autre, mieux adapté, émerge. C’est la même logique dans l’économie ou la société : la destruction créatrice (au sens de Schumpeter) renouvelle les systèmes plus sûrement que la réforme interne.

En période de disruption majeure, il est souvent plus efficace de :
– créer une nouvelle structure (startup, spin-off, laboratoire d’innovation) avec des codes et une culture adaptés au nouveau contexte,
– plutôt que d’essayer de “rééduquer” l’ancien système figé.

Changer une organisation, c’est vouloir réécrire son ADN. Or, comme les organismes vivants, elles ne peuvent muter qu’à la marge : au-delà d’un seuil, il faut accepter la mort partielle pour permettre une nouvelle forme de vie. L’auteur nous invite ainsi à penser la transformation non comme une réforme, mais comme un processus de régénération — une écologie du changement où la fin d’une forme est la condition d’une renaissance.

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