Gagner : les raçines

L’histoire du mot “Gagner” est aidante pour comprendre son évolution et … la nôtre.

Gagner signifiait au XIème siècle “faire paître le bétail” et “cultiver, exploiter la terre”, de l’ancien bas francique “waidanjan” (1). Le même mot germanique a donné l’anglais “to win” (gagner) et “winnings” (les gains), alors qu’en allemand moderne, “Weide” signifie toujours “le pâturage”.

De l’idée de “cultiver/faire paître” est née l’idée plus large de “travailler la terre pour en tirer sa subsistance”, puis simplement “travailler”. De ce travail, on obtient un produit, une récolte, un profit. Le sens a donc glissé vers “acquérir par son travail”“obtenir un profit”.

Un autre glissement sémantique important est apparu car pour nourrir son bétail, il fallait parfois “aller chercher des pâturages”, donc “se déplacer vers” un endroit. De là est né le sens de “se diriger vers”“atteindre un lieu” – “Gagner la rive” (atteindre la rive), “gagner la sortie” (se diriger vers/atteindre la sortie).

Ce sens spatial s’est traduit par une signification militaire : “Gagner du terrain” signifiait à l’origine avancer et conquérir physiquement un territoire sur l’ennemi. Cette expression a ensuite été métaphorisée : remporter un combat, sortir victorieux d’une une négociation, , séduire quelqu’un, obtenir une faveur…

L’histoire de “gagner” offre un exemple passionnant d’élargissement sémantique et du pouvoir structurel des métaphores, parti d’un sens très concret et rural pour, par extensions et analogies successives, acquérir ses sens modernes très variés, allant de l’acquisition d’un bien à la victoire dans une compétition, en passant par le déplacement dans l’espace.

Mais, au fond, « gagner » garde toujours l’idée d’obtenir quelque chose (pain, profit…) par un effort (action, déplacement…), sauf, exception notable qui nous intéresse … dans le jeu !
Le sens ne s’est pas seulement élargi mais a bifurqué, pour signifier “acquérir” ou “obtenir” de manière générale, même sans effort particulier. Cela rejoint d’ailleurs les connaissances millénaires des premiers humains qui bénéficiait des ressources de la terre sans le dur labeur du moyen-âge, qu’il s’agisse de la chasse-cueillette ou de l’agriculture au baton (2).

Il nous semble qu’au XXIème siècle, plus d’un millénaire après l’ancien français “gaaignier“, qu’il est temps de

  • se séparer des peaux mortes
    • on n’utilise plus gagner pour parler de travail agricole
    • son usage “combatif” est perdant (l’opposition militaire fait perdre sens, vies, progrès, tandis que les compétitions sportives créent littéralement une armée de perdants…)
  • et de choisir une nouvelle signification, qui vise à créer plus que détruire, de faire alliance (avec la nature, les autres) plus que d’exploiter, de grandir (gagner en maturité, en sagesse, en puissance…) plus que de se perdre.

Quelle signification personnelle serait le plus utile dans notre vie ?

Notes

(1) Le francique était la langue germanique parlée par les Francs, qui ont envahi et donné son nom à la Gaule devenue France. Ce mot a été importé et s’est progressivement intégré au latin vulgaire parlé sur le territoire.

(2) Les recherches et publications de David Graeber & David Wengrow, ainsi que Marshall Sahlins.

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